Rendez-vous par email : Florent
J'ai rencontré Florent, bipolaire de 40 ans, à l'auditorium des Capucins à Brest lors de la Journée Départementale de Pair-Aidance en Santé Mentale organisée dans le cadre des SISM 2024 (Semaines d'Informations sur la Santé Mentale).
Bonjour Florent, j'espère que tu vas bien. Dans un premier temps, peux-tu nous dire ce qui t’as conduit aux SISM 2024 ?
J'ai voulu participer à cette journée sur la pair-aidance car depuis de longs mois que je suis rentré avec fracas dans l'univers psychiatrique, je me suis dis que cette épreuve, ces difficultés, la violence même de ce que l'on traverse, ne devaient pas rester un non évènement.
Je ne pouvais pas l'enfouir sous le tapis, il fallait que je transforme tout ça en quelque chose de positif, je le dois à mes enfants, je le dois à ma femme qui est auprès de moi depuis 21 ans.
Alors j'ai cheminé dans les phases où je suis positif et j'ai commencé à regarder du côté des associations et du secteur médico-social.
Je me suis aperçu qu'il existait ce statut de pair-aidant et j'ai trouvé que ça ferait sens.
Utiliser une expérience négative et traumatisante et la transformer en quelque chose de vertueux, d'aider à ma mesure pour éviter à d'autres ce qu'il m'est arrivé ou du moins leur permettre soit d'amortir leur chute, soit de les aider à rebondir.
En général, à quoi ressemblent tes journées ?
Ayant deux enfants de 9 et 7 ans la plupart du temps les journées sont rythmées par mon obligation de les conduire à l'école et de les récupérer, de les aider pour leurs devoirs, tout cela quand je suis en état de le faire.
Entre ces obligations parentales, mes journées peuvent être constituée de néant, de néant le plus total.
Je peux passer des heures à ne rien faire du tout.
Il y a des jours où je dors beaucoup, ou je passe de fauteuil en canapé et de canapé au lit.
Ma pathologie étant un trouble de l'humeur, je peux être excessif et me lancer dans un bricolage intense, qui va m'amener à dépenser de manières déraisonnable, à perdre un temps considérable pour parfois une justification totalement fantaisiste. J'ai un chien et j'ai décidé de faire un chenil, me voilà à mettre un place un chauffage pilotable par wifi, un éclairage commandé par interrupteur radio...
Et je vais m'épuiser à faire cela, jusqu'à me mettre dans des états ou seul le sommeil est salutaire.
Dans ces phases là, je suis irritable, je n'ai aucune patience et je suis désagréable, par le passé avant l'introduction du lithium, je pouvais être violent.
Je peux aussi, être profondément vide, être incapable de faire la moindre chose, je n'ai goût à rien. Dépressif par le passé, désormais sous traitement, je vais au pire être mélancolique.
Généralement, les phases d'hyperactivité sont suivies de phases de vide.
On pourrait faire le parallèle avec une batterie, la mienne s'épuise vite mais la recharger est long.
Pour un jour d'activité, je peux passer au moins deux jours à m'en remettre.
Le sentiment le plus présent est l'impatience.
Je ne vois pas la fin du tunnel.
Pour résumer, mes journées ressemblent à un grand bazar tantôt fait d'hyperactivité et d'irritabilité, tantôt d'absence totale d'activité et par la même d'un sentiment triste mais apaisant. Une résignation, un constat d'échec que j'ai fini non pas par accepter mais par tolérer. Je suis impuissant, je ne maîtrise rien.
J'ai 40 ans et j'ai l'impression en dehors de mon clan immédiat de n'avoir jamais rien réussi.
Alors chaque journée, revient ce sentiment.
La moitié de mon existence est derrière moi et finalement, ma vie n'a jamais commencé.
Le seul fil rouge c'est la musique, mes journées sont le plus souvent musicales, musique pour accompagner mes bricolages à l'instar d'un ouvrier sur un chantier, musique dans mon casque pour dormir.
Qu’est-ce qui a particulièrement attiré ton attention récemment ?
Je suis curieux de tout, la géopolitique m'intéresse, la sociologie également, ce qui se passe dans le monde attire mon attention.
Cette société dans laquelle nous vivons, ce monde dont vont hériter nos enfants m'interroge.
Par la force des choses je m'intéresse aussi à la santé mentale. Cet univers qui m'était inconnu se révèle à moi chaque jour, je constate que nous sommes très nombreux en souffrance et que le chemin est long pour que l'on puisse dire "je suis schizophrène" comme on dirait "j'ai un rhume".
Mais si je devais être plus concis ou choisir un point en particulier, ce qui m'a le plus interpellé c'est la santé mentale des adolescents et jeunes adultes.
Hospitalisé à l'UPEC, j'y ai rencontré de jeunes patients qui m'ont profondément touchés.
Je pense que cela devrait être une cause prioritaire, le bien être des jeunes est la clef pour que le monde de demain soit apaisé, bienveillant et positif.
Délaissons ces jeunes et nous récolterons demain bien des dégâts ...
De quoi tu es le plus fier ? De quoi tu es le plus fier ?
D'être en vie.
Avoir trouvé la force pour me faire aider avant qu'il ne soit trop tard.
Tout ce que j'ai entrepris pour m'en sortir, ce combat que je mène pour moi-même et non contre moi-même.
Essayer de s'accepter, de mieux se connaître, de savoir lire dans mes comportements et de savoir comment y faire face.
Évoluer en s'acceptant et non en s'opposant.
À quels problèmes tu fais face au quotidien ?
La perte de beaucoup de connaissances pour qui je suis un malade mental. On fait peur, on est discriminé, les gens fuient.
Ma pathologie épuisante par bien des aspects.
Changement d'humeur, fatigue, excès en tout genre, dépression, hyperactivité.
Je ne peux pas me concentrer.
Ça me demande des efforts considérables et épuisants.
Je ne peux pas suivre les conversations en général. J'ai besoin de m'isoler etc…
Qu’est-ce que tu fais quand tout va mal ?
Quand tout va mal, j'exagère avec ma prise de médicaments, je mange de façon compulsive, je m'isole, je buvais avant la mise en place du lithium, je pleure et je peux peut penser au suicide.
Heureusement ces états tendent à se minorer et à se distancer dans le temps.
Merci pour ce touchant partage Florent 🤓 A bientôt !