Rendez-vous par email : Loïc
Loïc a 28 ans et nous vient du Grand Est. Il travaille comme Médiateur Santé-Pair au sein du CHRU de Strasbourg. Il est engagé à soutenir individus et familles à travers les défis de la santé mentale.
Salut Loïc, j'espère que tu vas bien. Peux-tu nous dire ce qui t’as conduit à la Pair-Aidance ?
Je pense qu’il y a trois points principaux qui m’ont poussé dans cette voie-là :
1. J’ai un master en marketing et communication. J’ai travaillé longtemps dans des entreprises qui avaient comme but de faire du chiffre d’affaires. Cela m’a amené à me demander le sens de ce que je faisais. Est-ce utile à la société ? Même si j’aimais ce que je faisais, il se trouve que la réponse est non. De plus, j’ai depuis l’enfance, une envie d’enseigner. Pour différentes raisons, cela n’a pas eu lieu mais durant mes études supérieurs, l’envie d’être intervenant dans des formations a ressurgi. La Pair-Aidance me permet de donner un sens à ce que je fais et d’être vraiment utile. Je trouve également que le côté « formation » est présent, pas de façon directe mais dans la transmission aux patients.
2. Je faisais déjà de la Pair-Aidance sans le savoir. Je suis modérateur d’un groupe Facebook sur l’autisme et je partage beaucoup mon savoir expérientiel, je donne des outils. Également, j’anime des groupes au sein d’un GEM. J’aime faire ces deux activités et comme dis plus haut, je trouve un sens dans ce que je fais. J’ai pu voir que j’ai aidé d’autres personnes, des fois même sans le vouloir et c’est gratifiant. C’est seulement au détour d’une conversation avec une psychologue que j’ai eu connaissance de la Pair-aidance et qu’on pouvait en faire sa profession.
3. J’ai seulement mis les mots sur ça il y a quelques jours mais c’est aussi une belle revanche sur la vie. Passer d’il y a quelques années à vouloir mettre fin à ma vie puis maintenant aider des personnes suicidaires, je trouve que c’est symbolique. Surtout que je travaille là où j’étais patient avant.
En général, à quoi ressemblent tes journées ?
Je n’ai vraiment pas de journée type et je suis très autonome pour m’organiser, faire et proposer différentes missions. Globalement, je travaille les mardi, mercredi matin et jeudi. Sur les trois jours, j’ai deux réunions, une réunion de service et une consultation d’équipe. En dehors de cela, je peux être amené à :
- Me former sur la thérapie qu’applique ma structure et également sur les différents troubles
- Participer en tant qu’observateur actif à des groupes
- Créer des fiches de pratique à destination des différents publics bien précis (neuro-atypique, queers, …)
- Réaliser des entretiens de façon individuelle
- Présenter dans des groupes ma fonction de pair aidant
- Travailler sur des questions de recherche
Avec quels outils tu travailles ?
Tout d’abord sur les outils informatiques, je travaille avec la suite Office, Outlook et l’outil DXCARE pour accéder au dossier des patients.
D’un point de vu plus thérapeutique, ma structure utilise la thérapie comportementale et dialectique (TCD). C’est un type de thérapie cognitivo-comportementale (TCC) mise au point à l’origine pour traiter les personnes souffrant de trouble de la personnalité borderline mais plus largement d’une forte dysrégulation émotionnelle.
La TCD est donc au cœur de l’ensemble des approches que je vais mettre en place. Cependant, j’utilise également d’autres outils que j’écris moi-même dans la majorité du temps. Il s’agit principalement d’éléments de psychoéducations pour permettre d’expliquer un élément aux patients. J’essaye quand cela est possible de rattacher les outils avec des compétences TCD. Je suis aussi amené à utiliser des fiches venant de la TCC ou encore des fiches venant de la thérapie ACT.
Enfin, j’utilise beaucoup d’outils sur internet et notamment les vidéos et podcasts. Je considère qu’il s’agit de ressources très efficaces, d’une part pour que les personnes puissent continuer la thérapie chez elle mais aussi pour permettre de faire passer des messages autrement.
Qu’est-ce qui a particulièrement attiré ton attention récemment ?
J’ai tellement de choses qui attirent mon attention mais j’aimerais parler de l’implication des patients. La thérapie comportemental dialectique est une thérapie assez intense avec au minimum 2 rendez-vous par semaine et des pratiques à domicile à faire. On a souvent tendance à stigmatiser les patients sur le fait qu’ils ne font pas d’efforts pour s’en sortir, qu’ils ont « la flemme ». J’ai pu remarquer qu’inconsciemment, je pouvais avoir ce cliché même si je ne l’ai jamais verbalisé.
Il se trouve que les patients sont très investis et sont bluffants pour essayer d’atteindre la vie qui vaut la peine d’être vécue. L’investissement de tous, permet également une émulation et se pousser vers le haut au sein des groupes.
De quoi es-tu le plus fier ?
Tout simplement de pouvoir être là où j’en suis aujourd’hui. Il y a 17 mois, j’étais dans le bureau d’une psychologue avec des idées suicidaires et des comportements auto-dommageables. Maintenant, cette psychologue est devenue ma collègue et l’on travaille ensemble. Cela me prouve que le rétablissement est possible malgré que j’ai pu penser l’inverse. C’est ma motivation au quotidien, d’une part car je peux affirmer que la thérapie fonctionne et d’autre part, je peux partager cette histoire aux patients.
À quels problèmes tu fais face au quotidien ?
Mon principal problème vient du fait que ma fonction n’est pas connue. Je suis le premier médiateur de santé pair dans mon service et donc personne ne sait vraiment ce que je peux faire, comment je peux le faire. J’ai la chance que mes collègues m’acceptent et de n’avoir aucune réticence mais je dois faire plus d’efforts pour trouver ma place. Par exemple, j’ai dû présenter à l’équipe les missions que je pouvais faire et également les sujets sur lesquels je peux intervenir lors d’entretiens individuels.
Je dois donc faire ma place, construire mon poste et ça m’apporte du stress car j’ai une peur de l’échec très présente mais aussi un fort sentiment d’abandon qui vient d’un manque de compassion propre envers moi-même. J’essaye donc de laisser le temps faire les choses tout en étant actif mais en me mettant moins de pression sur les épaules.
Qu’est-ce que tu fais quand tout va mal ?
Déjà, j’ai appris avec le temps que tout ne va pas mal. Il y a toujours des choses positives, même petites. Pour répondre à la question, j’utilise les compétences que j’ai apprises dans la thérapie comportementale et dialectique. Dans le détail, ça va d’abord consister à prendre une pause, aussi appelé STOP en TCD. Cela me permet de faire baisser l’intensité de mes émotions. Ensuite, j’utilise la pleine conscience pour pouvoir vérifier les faits efficacement. Une fois fait, j’agis à l’opposé de mon émotion si cette dernière n’est pas pertinente ou je résous le problème.
Un grand MERCI Loïc pour ta contribution en général et la complétude de tes réponses en particulier ! On se retrouve sur les bancs de la fac au mois de mai ?